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Lettres à un jeune poète
de Fernand Séverin

Fernand Séverin : Lettre à un jeune poète

Genre : Correspondance
Format : 14,5 x 20 cm
Nombre de pages : 132 p.
Date de publication : 1960
Prix : 9,90 €
Publiées et commentées par Léon Kochnitzky

À propos du livre (Texte de l'Introduction)

Une correspondance littéraire, chose rare en notre siècle, implique, de la part de ceux qui l'entretiennent, des loisirs, un certain détachement des contingences, le goût du dialogue et l'impossibilité de le satisfaire. Pour mieux s'inscrire dans son cadre, il importe qu'elle soit son propre motif et n'ait d'autre fin qu'elle-même; en d'autres termes, qu'un intérêt politique ou social ne s'y mêle point, que ne s'y manifeste nul désir de briller, nulle entreprise de réussite mondaine ou autre. Les lettres d'amour, d'amitié même, seraient — et sont trop souvent — gâtées par la littérature. Inconcevable entre les membres d'un cénacle, la correspondance littéraire est encore exclue entre des collègues de faculté, de rédaction ou de chancellerie. Elle est forcément livresque.

Au moment de leur rencontre, à Utrecht, en décembre 1914, Fernand Séverin a vingt-sept ans de plus que le jeune poète, alors âgé de vingt-et-un ans. L'invasion allemande a chassé l'un et l'autre de Belgique. Une vie incertaine s'ouvre pour eux, dans des circonstances difficiles à affronter. Mais ils ont tous les deux le rare privilège de n'avoir pas laissé d'êtres chers dans la fournaise. Fernand Séverin est accompagné de sa femme et de son petit garçon. Il a retrouvé des parents aux Pays-Bas. Le jeune poète, qui a passé la frontière le 1er novembre pour se présenter à la Légation de Belgique, à La Haye, où siège une commission de recrutement, est venu suivre quelques cours à l'Université d'Utrecht. Sa mère veuve, sa grand-mère et son jeune frère de treize ans l'ont bientôt rejoint. L'existence de cellules familiales entourant les deux correspondants fut en tous points favorables à leurs premiers entretiens, et plus tard, au commerce épistolaire qui les prolonge.

Fernand Séverin soufrait profondément de la guerre et de l'exil. Sa maison saccagée, ses manuscrits dispersés, ses travaux interrompus ajoutaient pour lui une désolation intime au malheur public. La grande misère de la Belgique envahie, ce Wallon transplanté en terre flamande en éprouvait les effets avec une poignante, une déchirante intensité.

Belge de naissance mais étranger d'origine, le jeune poète, accoutumé dès l'enfance aux récits de persécution et de pillage, de massacres, d'oppression et de torture policière, était peut-être mieux préparé à subir ce choc. Moins cruellement meurtri que Fernand Séverin, il n'en était pas moins affligé, consterné en présence de ce déchaînement de barbarie sans précédent, de cette destruction sans remède des notions humaines qui avaient nourri sa jeunesse. Sa douleur se changeait en indignation, en rage impuissante. Un élément personnel s'y mêlait aussi : le souci d'une santé précaire, à chaque instant menacée. Atteint d'une lésion cardiaque à la suite de crises répétées de rhumatisme articulaire, il se trouvait de ce fait éloigné de ses compagnons d'âge. C'était un nouvel exil, plus difficilement supportable peut-être que le premier.

Mais le fait d'être réuni aux siens, de savoir que leur vie n'était pas en danger, fut de toute première importance dans l'établissement de cette correspondance entre les deux réfugiés. Elle leur procurait, à l'un comme à l'autre, non pas un moyen d'échapper aux dures contingences de l'heure, non pas même un subterfuge permettant de les oublier, ces contingences affreuses, — et Fernand Séverin s'en défend avec véhémence dans plusieurs de ces lettres — mais une sorte de diversion propre à atténuer les angoisses du plus âgé comme celles du plus jeune,

En publiant ces lettres, le jeune poète devenu vieux eût préféré conserver l'anonymat. Il lui paraissait outrecuidant d'inscrire son nom sur la couverture d'un ouvrage où il était à chaque page question de lui et de ses écrits. Des poèmes parus dans des revues ou réunis en recueils s'y trouvent nommés. Écrits de jeunesse emportés par le flot des jours et qui n'ont laissé de trace nulle part. Les mentionner ici ne les tire pas de l'obscurité. Plusieurs manuscrits importants (par le volume), notamment cette Zampogne d'Oronte citée à plusieurs reprises, ont été détruits par leur auteur. L'unique recueil de poèmes qui ait joui d'une certaine notoriété locale ne se trouve pas nommé. Écartant ces considérations littéraires, le destinataire des lettres de Fernand Séverin n'a pas cru devoir cacher son nom.

Dans sa lettre du 2 novembre 1924, Fernand Séverin écrivait, à propos de CHarles van Lerberghe — Lettres à Fernand Séverin : «C'est sous ce titre un peu impudent de cabotinage que paraît, en effet, l'ouvrage en question. J'aurais voulu quelque chose de plus modeste : Lettres de Charles van Lerberghe, et, en petits caractères; avec une notice biographique et des notes par Fernand Séverin.» L'auteur du Don d'Enfance a ainsi dicté lui-même, en quelque sorte, le titre qui convenait à cette nouvelle publication.

Deux poètes sont ici en présence, séparés par une différence d'âge d'un quart de siècle. Cet intervalle temporel donne tout leur relief aux lettres publiées en illuminant leur signification pour ainsi dire universelle.

Grandi sous la double influence du Parnasse et du symbolisme, éloigné par son tempérament latin des ténèbres nordiques où se complaisent Maeterlinck, Verhaeren, Elskamp, ses amis, Fernand Séverin, en dépit de l'affectueuse admiration qu'il a vouée à van Lerberghe, se sent plus proche de Gilkin, de Mockel. Mais fidèle aux appels éclatants de Heredia, illuminé par les strophes élyséennes de l'Iphigénie de Goethe, c'est aux accents plus intimes, plus secrets, plus délicats aussi d'un Charles Guérin que vont ses préférences. Entre La source au fond des Bois et Le Semeur de Cendres une parenté d'âme existe.

Le jeune poète, après une période d'intense hugolâtrie — il ne parviendra jamais à l'oublier complètement — subit l'attirance irrésistible des romantiques anglais. Shelley, Keats et Coleridge (il ignore encore Blake) sont les poètes qu'il honore. Shelley plus que les autres; et il lui arrive de méditer pendant des heures sur les vers d'Epipsychidion :

True love in this differs from gold and clay
That to divide is not to take away.

Il s'attendrit sur la fin précoce du poète de l'Urne Grecque, et répète les strophes spensériennes d'Adonaïs. Mais quand il apprend que l'article d'un méchant critique a pu hâter la fin de Keats, alors c'est avec Byron qu'il éclate de rire en s'émerveillant

'Tis strange the mind, that very fiery particle,
Should let itself be snuffed out by an article.

Car Byron — si injustement dédaigné des «connaisseurs» de l'époque — l'enchante et le ravit. Son ironie, son détachement, son verbe étincelant, ses rimes splendides lui font éprouver une ivresse poétique sans égale. En français, il chérira ces «fantaisistes» qui se rapprochent — à leur insu probablement — des formes chères à l'angélique démon : Toulet, Jean Pellerin; et bientôt : Apollinaire.

On conçoit qu'entre les correspondants la mésentente littéraire fût inévitable. Mais cette mésentente même, tempérée d'indulgence et d'affectueuse sympathie chez le plus âgé, de déférente admiration chez le plus jeune, alimente leur échange d'idées en même temps qu'elle fortifie leur naissante amitié.

C'est l'éternel conflit des générations, que ces lettres de Fernand Séverin mettent en lumière, et c'est par là que leur enseignement dépasse la personne et les écrits du jeune poète, échappe à la griffe des ans, et demeure un témoignage vivant de clairvoyance et de générosité.

Lire un extrait

Or, le jeune poète, ayant pu gagner la Hollande, y avait fait imprimer un recueil de ses poèmes. Ayant su que Fernand Seéverin était, lui aussi, réfugié à Utrecht, il lui envoya un exemplaire de l'ouvrage, agréablement présenté par un excellent imprimeur de Leyde. Quelques jours plus tard, il reçut la réponse suivante :

Adressée à Utrecht.

24 Décembre 1914.

Cher Monsieur,

C'est avec une agréable surprise que j'ai reçu votre livre. Je pensais bien qu'il devait se trouver des poètes parmi les réfugiés belges aux Pays-Bas. Notre mouvement littéraire est si intense! Mais je ne m'attendais pas à ce que l'un d'eux publiât un volume de ses œuvres dans ce pays. Vous vous excusez de ce que vos vers ne contiennent aucune allusion aux événements actuels. Votre cas est à peu près celui de Goethe écrivant son «West-Ôstlicher Diwan» au plus fort des guerres napoléoniennes. Ce qui peut vous arriver de pire, c'est que votre livre, publié dans les circonstances présentes, passe tout à fait inaperçu. Ce serait pourtant dommage. L'Adorable Cortège, que je viens de lire, est l'oeuvre d'un poète de talent. Vous avez une charmante imagination, servie, autant que j'en puis juger, par une culture classique et es-thétique très poussée, et par de beaux souvenirs de voyage. En outre l'allure de vos poèmes est légère, gracieuse, spirituelle. Vous avez l'air de vous jouer en les écrivant. J'admire votre facilité dont vous me paraissez cependant abuser un peu. Ça et là, la phrase est un peu molle, je voudrais plus de nerf. Ailleurs il y a quelque négligence, et vous semblez vous contenter d'un à-peu-près.

L'ensemble n'en est pas moins fort remarquable, comme don, comme tempérament poétique, et témoigne d'une culture qui manquait, il y a vingt ans, à la plupart de nous. Le poète, chez vous, n'est pas «un ignorant qui ne sait que lui-même».

J'ai relu avec un vif plaisir maint de vos beaux sonnets, notamment un sur le fils de Faust et d'Hélène, un autre sur Florence (Mirage) et j'ai vivement goûté l'Heure Syracusaine, si suggestive et si originale, malgré quelques négligences. Au reste, il y a un peu partout, dans votre livre, des choses charmantes, et je compte bien le feuilleter encore.

Ne me ferez-vous pas le plaisir de venir me prendre, un de ces jours, pour un tour de promenade? La maison de mon beau-frère étant pleine de réfugiés, nous n'y trouverions pas un coin libre pour causer, mais nous pourrions toujours aller prendre l'air. Je suis libre tous les jours à 9 h du matin et à 3 h de l'après-midi, et serai charmé, mon cher poète, de faire votre connaissance.

Mon collègue et ami Alph. Roersch est, selon toutes probabilités, resté à Gand, où la vie, en ce moment n'est pas rose. Son adresse est 16, place du Casino, et vous pourriez lui écrire par l'intermédiaire de M. Kuyck, consul des Pays-Bas à Gand, par Sas-van-Gent.

Je vous renouvelle mes remerciements, et mes félicitations, cher Monsieur, et vous prie de croire à mes sentiments de confraternité littéraire.

F. Séverin


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