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Lettres à Fernand Severin
de Charles Van Lerberghe

Charles Van Lerberghe - Lettres à Fernand Séverin

Genre : Correspondance
Format : 16 x 24,5 cm
Nombre de pages : 536 p.
Date de publication : 2002
ISBN : 2-8032-0050-3
Prix : 34,70 €
Textes établis, présentés et annotés par Raymond Trousson

À propos du livre

Trois jours seulement après les funérailles de Charles Van Lerberghe, décédé le 26 octobre 1907 à la clinique de la rue des Cendres et inhumé le 29 au cimetière d'Evere, son vieil ami Fernand Severin s'interrogeait déjà sur l'opportunité de publier les lettres de son ami. «Qu'en penses-tu?, écrit-il à Albert Mockel. As-tu songé à une oeuvre inédite de Charles, et notamment à sa correspondance? Tu as dû recevoir de lui d'admirables lettres. Moi, j'en ai à peu près plein un tiroir, et je ne sais rien de plus beau que certaines de celles qu'il m'écrivait de Berlin, de Munich ou de Rome. Ne pourrions-nous, un peu plus tard, faire connaître au public cette correspondance, dont nous éliminerions, cela va de soi, tout ce qui serait trop personnel? Ne serait-ce même pas un devoir de le faire? Je crois que nous ne pourrions mieux contribuer à sa gloire qu'en publiant ces lettres, si spontanées, si vivantes, si originales, qui permettront d'apprécier la sincérité de son art et de l'innéité de sa poésie. »

Ce n'est pourtant qu'à partir de 1921 que Severin songe sérieusement à mettre son projet à exécution et son édition des lettres de Van Lerberghe paraît à la fin de 1924, très favorablement accueillie par la critique. Il s'en fallait pourtant de beaucoup que cette édition fût complète. Contraint par des scrupules moraux, par un souci de discrétion au sujet de certaines circonstances de la vie du poète et surtout de sa vie amoureuse, soumis à la censure sévère de la famille de Van Lerberghe, Severin avait livré à peine le tiers de l'ensemble d'une correspondance extrêmement riche, non seulement en confidences, mais aussi en considérations sur l'esthétique du poète, en longues relations de ses voyages en Allemagne et en Italie.

Les scrupules qui faisaient obstacle à la publication intégrale ne sont plus de saison. Aussi trouvera-t-on ici, pour la première fois, l'intégralité des lettres adressées par Van Lerberghe à son ami, de janvier 1888 à mai 1906. A tous égards, elles valent celles que, au cours des mêmes années, le poète de la Chanson d'Ève a envoyées à Albert Mockel, et constituent un document de premier ordre, tant pour comprendre la genèse de son oeuvre que pour la connaissance de l'homme et son temps.

Lire un extrait

1

Gand, 25 janvier 1888

Mon cher Poète,
Merci du livre que vous m'envoyez et du mot affectueux qui l'accompagne. Ce m'est de vous, que j'aime depuis longtemps entre tous, la meilleure des joies.
Ce qui me ravit dans votre art, c'est sa parfaite unité, la mer-veilleuse adaptation de votre forme à vos pensées, le fondu de vos vers. Vos nuages, vos sites, vos rythmes et vos mots «de rêve et de soir» sont bien de la pure essence de vos pensées.
Ils en ont la douceur triste, la rayonnante pâleur, la même sourdine de «voix célestes». Les unes se fondent dans les autres. C'est une sorte de matinale clarté, de mélodieuse atmosphère dont elles se revêtent et se pénètrent, où elles baignent, où elles se dégradent insensiblement en nuances, en sons effacés, en de subtiles affinités… C'est une espèce de jardin qui ressemble à vos pensées, et que j'adore; je ne sais pas comment spécifier la très spéciale impression que vous me donnez… En tous cas vous êtes un très parfait et admirable poète. Il me faudrait citer toutes vos pièces – cependant je veux tirer hors de pair : La Muse – Renaissance florentine – Les Rêveurs – Les Mort-nées – Adieux – A celle qui viendra – Le Vallon… et surtout Une enfant, pour moi, la plus mystérieuse perle du livre, un chef-d'oeuvre de virginalité [sic] réalisée – plein de trouvailles: «tes soeurs inégales – une de tes chansons pleine de roses blanches! – et tes nuits sont frugales! – allant par les chemins de mon triste alentour, etc... Et le seul mot d'aimer dérangerait ses plis!»
De vrais traits de maître.
Je vous félicite de tout coeur, mon cher Poète, et vous remercie encore de m'avoir donné cette occasion de vous témoigner ma haute estime et mon amitié.
C. Van Lerberghe.


[février-mars? 1889]

Mon cher Van Lerberghe,
Je viens vous remercie de l'envoi de votre drame Les Flaireurs un mois en retard. Nous nous sommes cependant beaucoup vus depuis lors, et j'aurais pu de vive voix vous dire ma gratitude. Il est certain que je suis d'une négligence rare, pour ne pas dire plus.
En lisant pour la première fois ce saisissant essai de théâtre nouveau, je me suis demandé si vous saviez bien la beauté de votre oeuvre… Il y avait surtout ce sous-titre: «Théâtre de fantoches» qui me gênait. Pourquoi ne vouloir mettre qu'au théâtre des fantoches cette chose grandiose?
J'avoue que cela me répugne encore un peu. Quant à la conscience de la beauté de votre drame, je suis certain, à présent, que vous l'aviez. Dans nos promenades du soir vous m'avez toujours paru tellement obsédé par le merveilleux, tellement ouvert comme un paysan à tous les ravissements et à toutes les épouvantes de l'inconnu surnaturel que je ne doute plus.
Pardonnez-moi de vous parler de vous-même, quand je ne devrais parler que de votre oeuvre, mais c'est qu'ici la personne de l'auteur commente son oeuvre. J'ai surtout [été] impressionné par ce qu'il y a de poignant et de «populaire» dans Les Flaireurs. Cette beauté de l'oeuvre anonyme du peuple, si étonnante dans certains chansons et dans certains contes, vous êtes peut-être seul aujourd'hui à l'avoir.
Cette imagination de simple d'esprit se montrait déjà dans les admirables vers que vous avez donnés au Parnasse de la Jeune Belgique. Mais là il y avait encore bien des artifices de forme, et c'était des «pièces de vers» comme tout le monde en fait, quoique plus belles. Mais Les Flaireurs ont cela de spécial qu'ils suggèrent l'idée d'un renouvellement du théâtre, et d'un art où la forme et l'artifice seraient tout à fait subordonnés à la conception de l'ensemble. Il me semble, en effet, que votre drame, même mal écrit, ne perdrait rien de sa grandeur.
Ne l'a-t-on pas comparé à des oeuvres de certains hommes du Nord, à de la littérature russe ou norvégienne? Il me semble pour ma part, voir des rapports. Même imagination douce et humble, angoissée par le mystère, et qui, sans rien de théâtral, arrive aux plus saisissants effets de théâtre.
Les coups frappés à la porte, toujours plus forts, sont une chose bien simple, mais qu'il fallait trouver! Et je suis sûr que vous l'avez trouvée sans beaucoup chercher.
Certains de mes amis étaient choqués des jurons et du langage populaire que vous faites parler à la «Voix». Je trouve qu'ils n'ont pas saisi tout le drame, et qu'il y a là une hardiesse heureuse. Ce n'est d'ailleurs pas la seule hardiesse de ce court et poignant drame, qui semble avoir été fait d'un coup et sans retouches comme les oeuvres vraiment grandes et fécondes. Et je vois là, encore une fois, les germes d'un théâtre nouveau.
On peut se demander la «nationalité» d'une si étrange oeuvre. Elle est à coup sûr d'un barbare, d'un homme du Nord. Est-elle flamande? Ce serait alors d'un Flamand inusité, d'un Flamand spiritualiste. Mais à coup sûr c'est quelque chose comme l'oeuvre d'un paysan, d'un simple d'esprit, qui serait un très grand poète.
Pardonnez-moi d'exprimer si mal, avec tant de décousu et d'hésitations, et de maladresse, l'admiration que j'ai vouée à ce très grand poète et croyez-moi votre bien attaché
Femand Severin


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