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Grand prix d’Histoire de la littérature 2023

Lauréat

Alexandre de Vitry pour Le droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité (Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2023).

Image représentant Alexandre e Vitry et la couverture de son livre "Le droit de choisir ses frères?"© Francesca Mantovani, Gallimard

Autres finalistes

  • Anna Arzoumanov, La création artistique et littéraire en procès : 1999-2019, Paris, Classiques Garnier, 2022.
  • Philippe Berthier, Le crocodile de Flaubert, essai sur l'imagination pendulaire, Champion, 2023.
  • Pascal Durand, Poésie pure et société au XIXe siècle, CNRS éditions (coll. Arts et essais littéraires), 2022.
  • Anne Reverseau, Jessica Desclaux, Marcela Scibiorska, Corentin Lahouste, Murs d'images d'écrivains. Dispositifs et gestes iconographiques (XIXe - XXIe siècle), Presses Universitaires de Louvain, 2022.

Extrait de l'argumentaire du jury

Ambitieux par l’étendue de son propos, le livre d’Alexandre de Vitry réussit à cerner avec brio les variations de sens d’un concept venu de la sphère familiale, mais étendu sur le mode métaphorique à l’histoire des idées. À partir d’une analyse lexicographique serrée, qui ne fait pas l’économie d’une incursion dans l’inventaire philologique du terme — adelphos, frater, fraternitas, etc. —, l’auteur dégage le paradoxe sur lequel repose sa démonstration : la confrontation entre l’assertivité d’un discours humanitariste et universaliste que manifeste la présence du mot dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (« … [tous les hommes] doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »), et la réalité vécue d’une prescription morale éminemment ambiguë. En effet, le mot ne figure guère dans le vocabulaire courant des familles, et force est de constater qu’une des sources du christianisme consiste en un fratricide fondateur. Ainsi, et sur le plan psychologique et sur le plan spirituel, sa consistance sémantique n’est pas très assurée. De cette ambiguïté témoigne, au centre de l’ouvrage et dans le contexte de la révolution de 1848 — date pivot du déroulé de la métaphore —, un texte très peu connu du poète Pierre-François Mathieu (1808-1864), qui s’ouvre sur le mode unanimiste (« Le ciel nous fit tous frères »), et se conclut sur un massacre…

C’est une des qualités de l’ouvrage, magistralement écrit, de mettre en concordance un mot, une devise et un slogan, avec l’expression variée de l’opinion publique et des grands courants de pensée qui ont accompagné l’évolution politique de la France après la Révolution de 1789, dont la rhétorique « fraternelle » s’est avérée curieusement défaillante : la proposition de Robespierre d’inscrire le « principe fraternel » dans la Déclaration des droits ne fut en effet pas acceptée !

L’argumentation de l’ouvrage s’appuie sur de multiples attestations, venues d’écrits littéraires (Hugo, Baudelaire, George Sand, Péguy, Romain Gary), philosophiques (Derrida, Deleuze), politiques (l’abbé Grégoire, Claude Fauchet) et journalistiques, comme le journal La Fraternité, fondé en 1841 par Richard Lahautière, de tendance néo-babouviste et marxiste. Ne sont évidemment pas exclus d’un inventaire particulièrement riche les textes puisés dans la production des théoriciens, des juristes et des utopistes (Saint-Simon, Cabet, Blanqui, Proudhon), qui ont accompagné l’émergence des sciences sociales au xixe siècle. L’enquête menée par Alexandre de Vitry, fruit d’une érudition dont la lisibilité reste constamment maîtrisée, s’étend jusqu’aux textes maçonniques, aux vers festifs, et même au répertoire des chansonniers, témoignant de l’ancrage du concept dans les pratiques de sociabilité.

Se donne ainsi à lire, dans cet ensemble à la fois diversifié et thématiquement concentré, une hésitation permanente entre l’ouverture vers l’humanité en général, d’ordre rhétorique ; et la fermeture, d’ordre socioculturel, sur des entités fermées comme le club, la loge, le compagnonnage, et, en ce qui concerne la littérature, le cénacle, le cercle et la coterie, qui institutionnalisent en fait une dynamique de résilience par rapport aux dérives matérialistes de la modernité. La conclusion de ce brillant essai, sans appel, confirme en tous points son titre : seule la fraternité élective rassemble effectivement les « frères humains ».

– Jacques Marx



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