Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique
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Jakob Jud

Jakob Jud / Photo © ARLLFB Membre étranger philologue du 9 juin 1951 au 15 juin 1952.
Prédécesseur : Jean-Jacques Salverda de Grave
Successeur : Eugène Vinaver
Fauteuil 38

BIOGRAPHIE

Jakob Jud a vu le jour à Wängi, dans le canton de Thurgovie, le 12 janvier 1882. Après ses études secondaires à Winterthur, il est initié à la philologie romane, à Zurich, par Heinrich Morf et par Ernest Bovet. Il séjourne ensuite à Florence et à Paris. La Toscane lui révèle le monde italien. À Paris, il suit les cours de Joseph Bédier et de Mario Roques, alors directeur des exercices philologiques à l'École des hautes études. Formé par ces maîtres prestigieux, le jeune Jud sera-t-il médiéviste? Il est aussi auditeur assidu des leçons de Jules Gilliéron, qui a mis en chantier l'Atlas linguistique de la France.

En 1906, Jud subit les épreuves du doctorat avec une thèse intitulée Recherches sur la genèse et la diffusion des accusatifs en -ain et en -on, publiée partiellement l'année suivante. C'est un modèle de monographie tant pour la richesse et la précision de la documentation que pour l'ingéniosité de l'argumentation qui s'y développe.

Engagé dans l'enseignement secondaire en 1906, Jud est envoyé en Engadine, où il apprend le rhéto-roman. Revenu à Zurich, il donne, pendant dix-sept ans, des cours de français et d'italien au lycée de la ville. Ayant obtenu l'Habilitation en 1908, il remplit ses fonctions dans l'enseignement secondaire et donne des cours à l'université où il est Privatdozent jusqu'en 1922, date à laquelle une charge extraordinaire est créée à son intention. Promu professeur ordinaire à titre personnel en 1926, il succède, cinq ans plus tard, à Louis Gauchat dans la chaire de linguistique romane. Il l'occupe jusqu'en 1950. Sa carrière pédagogique a été longue et brillante.

Suivant la pente de ses curiosités, Jud oriente ses recherches vers l'histoire du vocabulaire des diverses régions du monde roman, et particulièrement ceux du sud de la Suisse et de l'Italie, riches en mots remontant à l'époque romaine et, parfois, à des temps plus anciens.

À partir de 1913, Jud est en mesure de montrer comment le témoignage des langues germaniques ou celtiques peut éclairer l'histoire du vocabulaire latin, notamment dans le secteur gallo-roman. Au cours des années vingt, il publie quatre séries de Mots d'origine gauloise où il démontre d'une manière convaincante la provenance celtique de termes jusque-là rebelles à l'explication étymologique. Ce sont des mots français comme barge, talus, auvent ou des mots provençaux, poitevins, tessinois, savoyards, engadinois. L'apport de Jud à l'histoire du vocabulaire français est multiple. On lui doit de sagaces études consacrées à poutre, à aune, à éteindre, à sillon, mais ses enquêtes prenaient parfois d'amples proportions comme le montre son article sur «s'éveiller» dans les langues romanes.

Formé à la discipline qu'avait illustrée Jules Gilliéron, fondateur de l'Atlas linguistique de la France, Jud jette les bases d'une entreprise similaire avec le Sprach-und Sachsatlas Italiens und der Südschweiz (Atlas linguistique et ethnographique de l'Italie et de la Suisse méridionale, habituellement désigné par les initiales AIS). Il s'agissait d'une investigation sur le terrain, destinée à noter comment, dans les différents dialectes, on désignait les liens de famille, les parties du corps, les animaux, les plantes, les objets de la vie quotidienne... Les formes recueillies sont ensuite reportées sur des cartes. L'aire de diffusion des différentes formes est riche d'enseignements.

La bonne exécution de ce projet exigeait un talent d'organisateur, une grande précision et la capacité de travailler en équipe. Un destin propice met Jud en relation avec le Bernois Karl Jaberg, autre disciple de Gilliéron. La matière récoltée sous leur direction est immense : quatre cents localités ont été explorées, entre 1919 et 1925, par trois enquêteurs à temps plein. Il en est résulté quelque 1.705 cartes et tableaux. L'index, auquel Jud a travaillé jusqu'à la fin de ses jours, réunit quelque 700.000 formes dialectales. Les huit volumes de l'AIS, publiés en une dizaine d'années, constituent, pour toutes les entreprises similaires, un exemple de méthodologie et d'efficacité.

La coordination de la géographie linguistique et de l'histoire de la culture a aussi permis à Jud d'éclairer l'histoire des institutions religieuses. Comme exemples significatifs, on peut citer ses contributions à l'étude de la langue religieuse dans lesquelles il prouve, par l'analyse linguistique, l'indépendance politique et ecclésiale des cantons suisses par rapport à l'Italie.

L'intérêt de Jakob Jud pour les parlers de son pays natal l'a mené à épauler la publication du Dicziunari Rumantsch Grischun et du Vocabolario della Svizzera italiana, auquel il a collaboré à partir de 1934. C'est le même sentiment qui l'a mené à contribuer, en 1940, à un ouvrage collectif, Die Römische Schweiz, et à une étude sur les mots romans de la Suisse alémanique : Zur Geschichte der romanischen Reliktwôrten in den Alpenmundarten der deutschen Schweiz (1946).

Jakob Jud a aussi fondé une collection de monographies, Romanica Helvetica (1935) et une revue, Vox Romanica (1936, avec Arnald Steiger), où ont paru quantité d'études réalisées sous sa direction.

L'Académie a élu Jakob Jud en qualité de membre étranger le 9 juin 1951. Il est décédé à Zofingen, le 15 juin 1952, avant d'avoir pu être reçu en séance publique.

Jud a laissé de très nombreux travaux d'une haute qualité scientifique. Quand, pour son soixantième anniversaire, ses collègues lui ont offert un volume de mélanges (Sache, Ort und Wort, 1943), la bibliographie de ses publications comptait 288 titres. À son décès, elle en comptait près de 400. L'homme était réputé pour sa persévérance, son ardeur au travail et sa parfaite probité.

– Jacques Detemmerman



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