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En hommage à Liliane Wouters

Le mercredi  2 mars dernier, nous étions quelques-uns, aux côtés de notre Secrétaire perpétuel, pour accompagner dans son dernier voyage notre consœur Liliane Wouters. Un jeune soleil avait pour l’occasion et durant toute la matinée écarté les nuages et les giboulées. Je retiens de ce moment, non pas de la tristesse, mais de la dignité et de l’émotion, les roses blanches sur le cercueil blanc, les témoignages de respect et d’amitié pour celle qui est l’une de nos poètes majeurs, mais aussi une militante de la poésie, à travers son attention soucieuse des jeunes pousses, son travail d’anthologiste, et un témoin pour notre temps.

À travers son théâtre, elle a acquis une renommée appréciable. Mais surtout, ses derniers livres sont un témoignage pour la sagesse et la sérénité, à travers même les épreuves de nos vies. Je ne vous ferai pas le portrait biographique ou critique de Liliane : il existe déjà et de manière assez fouillée ou connue. Je vous donnerai par contre lecture de quelques fragments d’un entretien que j’avais eu avec elle, à Mont-sur-Marchienne, où elle habitait alors, et qui fut publié dans la revue Sources, en février 1995.

À la question portant sur les rapports entre poésie et spiritualité elle répondit : « Pour moi, la poésie est un langage religieux, au sens étymologique, qui rassemble, qui relie. Etre relié non seulement aux autres mais aussi à notre moi le plus profond. Rassembler les morceaux épars de moi, les fragments de temps de notre mémoire. Dans mon Journal du scribe je parle de plusieurs expéditions, je fais se chevaucher diverses époques, le contemporain des pyramides cite aussi bien Hiroshima et Dresde que Tenochtitlan et les Plantagenet… »

À la question sur les rapports entre modernité et tradition : « L’originalité d’un poète (d’un artiste), c’est sa voix personnelle. Qu’elle soit reconnaissable entre toutes implique nécessairement la nouveauté. On peut être sclérosé dans une forme d’avant-garde et plein de sève dans la tradition. On peut pratiquer le conformisme de la mode autant que celui de la routine. Mais le poète qui ne se contente que d’aligner des vers ne sera jamais qu’un rimailleur. »

Et à la question de l’identité  qui se dégage du parcours d’une œuvre : « Nous ne maîtrisons notre existence que dans une certaine mesure. C’est pourquoi tant de pages peuvent sembler contradictoires. Je me sens d’ailleurs un tissu de contradictions. Je l’ai souvent dit dans mes poèmes, Double,  par exemple. Ces contradictions s’expliquent par bien des éléments. La dualité de l’esprit et de la chair, du spirituel et du matériel par exemple. Ou encore : la vie et la mort. La fureur de vivre et la conscience de la mort. L’éternité et l’instant… Soi et les autres… Jusqu’à l’opposition germanité-latinité ! Considérez tout de même que toute contradiction, toute dualité est source de richesse. »

Le premier mot de son premier livre, la Marche forcée était : Pharaon ! De celui-ci à l’un de ses derniers livres, Le Journal du scribe, il y a une forme de cohérence souterraine, celle de l’imaginaire poétique. Peut-on le définir ? Liliane me dit alors : « Incapable de dire ce qu’est la poésie, je peux cependant en donner une image : la Pythie de Delphes assise sur sa pierre. Sait-elle ce qu’elle dit ? Oui et non. Elle scande une mélopée qu’elle ne contrôle qu’en partie. Ce qui me conduit, tout de même à choisir une définition (incomplète et personnelle, certes, je n’en ai cependant pas d’autre) : la poésie, c’est ce qui sort d’une fracture et se laisse porter par le souffle. »

Éric Brogniet
Séance mensuelle du 12/03/2016